Te souviens-tu Daddy ?

Publié le 25 Février 2012

Daddy, je voulais écrire un souvenir d’un moment que nous avons vécu ensemble et qui m’a beaucoup marqué. Cela remonte à il y a quelques années déjà, lorsque j’étais étudiante en théâtre à Marseille. La metteure en scène de l’atelier Théâtre et Politique nous demande un jour d’écrire un spectacle de groupe où l’on parle de l’Histoire, la Grande, celle que nous avons en commun, en partant de notre propre histoire individuelle, de nos histoires familiales témoins de la grande Histoire. Elle nous invite à nous rapprocher de nos ancêtres qui auraient vécu la seconde guerre mondiale.

Un soir, je vous ai appelé, Grany et toi. Grany me dit qu’elle n’a pas de « mauvais » souvenir de la guerre. Elle me raconte une anecdote, un souvenir qui l’a marquée. Puis elle te passe le combiné. Je me souviens que tu as commencé ton récit avec l’intonation d’un père qui raconte une histoire à sa petite fille. Au fur et à mesure que tu te plongeais dans tes souvenirs le ton de ta voix se faisait plus grave, plus juste, et je pouvais voir les images se projeter sur le voile de ta mémoire.

À un moment tu as arrêté ton récit. Un silence plein. Puis tu m’as dit que c’était la première fois que tu te souvenais de ce détail, le claque bleu opaque dont ton père recouvrait les vitres de la fenêtre étroite. Je te sentais peu à peu redevenir l’enfant que tu avais été. Tu me parlais de ton père qui avait aussi vécu la première guerre mondiale, de la place du village, de ce drapeau allemand dressé en son centre, et de ton père qui à sa vue avait prononcé dans un murmure : « j’ai honte ».

Une émotion soudaine t’a envahie à ce moment précis.

Te souviens-tu Daddy ?

J’étais à l’autre bout du fil, je t’écoutais avec une attention toute particulière. J’ai été saisie moi aussi par cette émotion qui te traversait. Et je me souviendrais toujours de ce moment intime que nous avons partagé tous les deux.

Tu as passé des moments très difficiles ces derniers temps et je voulais t’envoyer ce souvenir que nous avons en commun, pour que tu saches que je ne t’oublies pas, malgré tout ce que je vis ici. Je sais que tu vas mieux maintenant, et que tu as eu la chance d’être bien entouré.

Prends soin de toi, de Grany aussi.

Te mando un beso grande mi abuelo querido.

Ta petite fille.